Les sculptures Babungo, le tissu Ndop, la notion d'"homme pur" sont exhumés à la lumière des approches d'interconnectivité et de modernité.
Exposition "Zone de contact, février 2022, www.hanoscultures.com
La première exposition contemporaine montée par huit artistes camerounais de renommée internationale et organisée au cœur du musée national du Cameroun (2022) est une sérieuse introspection sur l'évolution de l'histoire du Cameroun. Elle porte, sans aucun doute, des particules, des indices pouvant suggérer une succession de notes et de clichés pour l'écriture de la grande histoire de ce pays baptisé à la génèse : Rio dos camaroes. Les artistes de cette expo, tous nés après les indépendances, se sont engagés aux côtés des gestionnaires de cet espace muséal, à sa pleine mutation pour lui conférer le statut de lieu de rencontres, de dialogue et pourquoi pas en faire une : "Zone de contact". Il s'agit, au-delà du contact entre les créations et les publics, du croisement de regards entre l'art ancien émanent (des quatre aires culturelles) et l'art nouveau.
L'entrée de l'exposition est encadrée, de gauche à droite, par deux oeuvres de Dieudonné Fokou. Celui qui est présenté comme le disciple de Joseph-Francis Sumégné (l'auteur de la statue de la Liberté de Douala), reconfigure la trame et les motifs du tissu Ndop dans une inimitable juxtaposition d'objets de récupération polis. Ces deux tableaux sont, dit l'auteur : "les symboles graphiques de mon alphabet, un langage visuel". Dans la disposition, l'oeuvre de droite (conçue à l'horizontale) est la structure d'accueil de la mémoire, celle disposée à gauche et conçue à la verticale symbolise le lien entre le ciel et la terre, relie le supérieur et l'inférieur. Dans la suite de l'analyse, il est utile d'intégrer l'idée de progression, de féminité... Plus loin, sa deuxième proposition artistique baptisée "le rêveur" compare l' "homme pur" entendez l'homme originel à celui d'aujourd'hui. Fait de chair et de sensibilités, l'humain d'hier a désormais toutes les apparences d'une structure en fer, insensible, inhumain... La note de présentation de cette exposition rédigée par les commissaires Fabiola Ecot Ayissi et Hugues Humen Tchana s'ouvre par cette phrase prémonitoire empruntée à l'historien Joseph Ki-Zerbo : " ...C'est une apocalypse au ralenti."
Le vidéaste et metteur en scène Martin Ambara accompagné du photographe Yvon Ngassa et du danseur professionnel Bertrand Yakana surfe également sur la notion de l'homme originel en explorant l'histoire du peuple Ekan grâce à une installation. Le voyage dans la cosmogonie de ce peuple est construit sur 12 paliers par le biais du Mvet. La rencontre entre le Mvet Ekan et le dispositif de l'installation croise les regards des supports du discours sur l'histoire et l'interrogation se porte plus que jamais sur l'authenticité du récit. Pour sa part, Alioum Moussa pose l'homme au contact de toutes les régions du pays. Le visiteur se laisse aller à penser que l'artiste crée une sorte de "Calebasses à palabre" à partir du concept de l'Arbre à palabre". Dix calebasses représentant chacune une région du pays sont disposées dans une forme circulaire, autour d'une sculpture. Chaque calebasse contient du coton et ses dérivées ainsi que des objets qui servent à le filer. Diamétralement disposés d'un côté comme de l'autre de ce Cercle de calebasses, deux sièges en bois et un miroir. Tout en s'attardant sur l'histoire de tissu Ndop consacré comme vêtement originaire des Grasfields, l'auteur invite le visiteur à faire l'expérience de sa propre sensibilité dans le cadre d'une interaction avec un vis-à-vis retracé par le miroir qui fait face.
Les traces de la représentation de Ruth Belinga, mais aussi les oeuvres de Max Lyonga, Salifou Lindou, Jean Michel Dissake témoignent de la puissance de la réflexion engagée à la fois sur l'histoire des peuples et les moyens de faire du musée national un espace de rencontre, de dialogue. Une première expérience encourageante pour les commissaires de ce travail qui considèrent que la culture peut se poser comme un élément déterminant de la réflexion commune. Ou simplement, mettre ensemble : "La culture et l'art comme moyens de penser l'avenir".
Arthur Melli